La cyberdépendance

Quelle ironie du sort !

  
Être obligée, dans le cadre de ses études, de créer un blog et faire des recherches sur la cyberdépendance quand on est soi-même en plein doute sur sa propre addiction à internet ?



Pour alimenter cette dépendance en restant sur internet, je vais donc tenter dans un premier temps de définir cette cyberdépendance dans une approche scientifique et par rapport à la population concernée. Il conviendra de vérifier dans un deuxième temps ce que recouvre cette addiction à la connexion ou sous quelle forme elle se manifeste. Enfin, je m'interrogerai sur les enjeux pour le personnel d'éducation et d'enseignement face à cette cyberdépendance qu'elle soit subie ou observée.
Qu’est ce que la cyberdépendance et qui sont les internautes concernés ?
Même s’il n’existe pas actuellement de consensus parmi les spécialistes sur le sens de ce que recouvre la cyberdépendance, on peut toutefois tenter la définition suivante :

La cyberdépendance est une dépendance qui s’instaure chez une personne qui fait un usage déviant des moyens de communication offerts par internet en cherchant constamment une connexion au réseau informatique afin d’y établir une communication, d’y trouver une information, du sexe ou du jeu virtuel. Sans connexion, il s’instaure une anxiété désorganisatrice au détriment de sa vie personnelle et sociale qui au mieux s’organise autour de la connexion ou dans le pire des cas, n’existe quasiment plus. A l’image d’une toxicodépendance, les phénomènes de manque peuvent apparaître et le cyberdépendant peut être amené à mentir pour camoufler sa dépendance.

Si on tente une explication scientifique1, on constate que la dépendance se met en place au niveau neurologique. 
En effet, la dopamine et la serotonine qui sont des neurotransmetteurs sont associés à une récompense dans un contexte précis et procurent le sentiment de plaisir, de satisfaction. Quand il y a répétition, le plaisir se renouvelle, mais l’organisme s’habitue à recevoir cet afflux de substance dans le cerveau : c’est à ce moment que se crée la dépendance. En effet, le cerveau va générer un état de manque avec des manifestations psychiques, comme le désir insistant et persistant de se connecter, et des manifestations physiques notables pour continuer à recevoir la substance. Ces troubles physiques peuvent être des migraines, des douleurs dorsales et cervicales, des troubles du sommeil mais aussi l’amaigrissement quand l’addiction au jeu en ligne par exemple fait oublier de s’alimenter.

 "50 heures par semaine ! je n'en suis pas encore là... "
Les véritables dépendants à internet passent plus de 50 heures par semaine en dehors de leur activité professionnelle et représentent 6 % des usagers.

Quand on pense au public concerné par la cyberdépendance, on pense spontanément  que  seuls les jeunes de 18 à 30 ans regroupés sous le terme global de génération Y sont concernés puisque par définition, ce sont des digital natives c'est-à-dire ayant grandi avec internet. Pourtant, s’ils sont effectivement des utilisateurs acharnés des réseaux sociaux comme le rapporte Martine Fournier dans le magazine Sciences Humaines2, ils ne sont pas forcément tous en situation de dépendance. Il y a quelques années, les cyberdépendants étaient principalement des hommes de 25 à 35 ans, financièrement capable d’assumer l’achat de matériel mais cette situation évolue vers plus de parité. Pourtant la dépendance masculine est plus tournée vers le jeu ou le sexe tandis que celle des femmes serait plus tournée vers la cyberdépendance dépensière ou relationnelle.

Et, même s’il existe peu de données chiffrées sur le sujet, les médecins signalent de plus en plus de cas de cyberdépendance chez les adolescents.
Les différentes formes de cyberdépendance
Dans son livre « Cyberdépendance en 60 questions 3» Jean-Charles Nayebi définit quatre types majeurs de cyberdépendance :

  1. Le cyberjeu ou forme de dépendance à Internet qui concerne les joueurs sur ordinateur en réseau.
    "Les bonbons, je n'aime pas vraiment cela ..."

Dans un article du magazine Télérama4, Nicolas Delesalle rapporte que le jeu Candy Crush a 80 millions d’adeptes dans le monde et qu’il compte 700 millions de parties jouées chaque jour. A tel point que « l'association américaine de psychiatrie vient même de réclamer que ce maudit jeu soit reconnu épidémie nationale et milite pour la mise en place d'une cellule d'aide à la désintoxication ». Il s’agit pourtant d’après l’auteur plus d’une addiction au smartphone qui est le support essentiel de ce jeu, que de l’intérêt du jeu en lui-même – alignement de 3 bonbons identiques.

Le jeu Farmville quant à lui, dont on peut retrouver une analyse dans l’onglet Etude de cas de ce blog, s’est imposé grâce aux réseaux sociaux – Facebook notamment - avec un système de récompense et de félicitations très addictif.

Mais ces jeux, au nombre considérable d’adeptes, ne sont que des exemples parmi tant d’autres (Dofus, Big farm, Criminal case, Good same empire…). Ils ont comme point commun de pouvoir être remplacés rapidement par d’autres jeux répondant aux mêmes critères.

 "...et je n'ai pas encore vu de PC Banc sur Papeete"

Crédit Rob Fahey
Toutefois, c’est du côté de l’Asie du Sud Est qu’il faut se tourner pour trouver de véritables institutions autour des jeux en ligne, les Pc Bang, sorte de café internet mais surtout sites bien réels de jeux virtuels. Dans un article paru dans le Monde en juillet 2011, Philippe PONS5 révèle les statistiques du gouvernement sud –coréens qui indiquent que plus de 2 millions d’habitants (soit 8 % de la population) sont cyberdépendants. ce gouvernement essaie de combattre ce qu’il considère comme un fléau qui a déjà causé directement ou indirectement la mort de plusieurs personnes. En Chine, c’est un joueur lui-même6, conscient de son addiction qui en mars dernier a appelé la police pour qu’on l’enferme après qu’il ait joué 72h dans un PC bang.

 2.La cyberdépendance relationnelle qui concerne l’établissement des relations via Internet et le suivi de ces relations.
"Mais si on parle de mail, facebook... là j'ai peur !" 

Quand on visualise un réseau quel qu’il soit, sous la forme d’un ensemble de liens et de nœuds, on comprend mieux la nécessité, quand on parle d’un réseau social, d’entretenir ce fameux lien (=relation) social entre les différents nœuds (=individus).



Car il n’y a actuellement plus une seule personne dotée d’un ordinateur ou d’un smartphone qui n’ait jamais entendu parler de réseau social. Facebook est le plus connu et utilisé, mais il en existe des dizaines qui répondent au même besoin : créer du lien social virtuel, même si certains affirment qu’il est réel.

Et comme l’ont démontré Alexandre des Isnards et Thomas Zuber, dans leur livre Facebook m’a tuer7, la cyberdépendance relationnelle se manifeste dans la vie professionnelle comme dans la vie privée, sur sa boite mail du travail comme sur son profil Facebook sur le postulat suivant : et s’il se passait quelque chose quand je ne suis pas connecté ? (Voir Tentative de déconnexion et Narcisse 2.0 dans l’onglet études de cas sur ce blog)



  1. Le cybersexe qui concerne la fréquentation assidue des sites pour adultes à contenu pornographique.
"Les études disent que ce sont plutôt les hommes ..."
Regarder des images ou des films à caractère pornographique n’a rien de nouveau. Mais les nouvelles technologies, en facilitant leur accès, a permis une consultation plus fréquente, plus régulière et surtout moins licencieuse. Finis les cinémas interdits aux moins de 18 ans, les magazines cachés qu’il fallait demander au libraire. En banalisant l’accès et en abolissant toute limite d’âge pour fréquenter des sites au contenu à caractère pornographique, internet a rendu possible cette nouvelle forme insidieuse d’addiction et de dépendance. Selon les critères moraux propres à chacun, il est possible de ne pas s’offenser quand il s’agit d’adultes vis-à-vis de contenus pornographiques concernant des adultes. Mais le danger est plus pregnant quand on apprend que des adolescents regardent quotidiennement des films porno parce qu’ils aiment bien cela. Comme le souligne Tina Karr dans ses articles parus dans le Huffington Post8 sur les ravages et la dépendance à la pornographie chez les jeunes, la visualisation régulière de ces contenus pornographiques à une période où le jeune est en train de se construire a un impact négatif sur sa sexualité d’adulte.

On peut s’inquiéter également de la cyberdépendance à la pédopornographie que l’organisation non gouvernementale Terre des hommes a mis en évidence avec son appât virtuel Sweetie (retrouvez l’analyse sur Sweetie dans l’onglet Etudes de cas). 


  1. Le cyberamassage, ou « cyberhoarding », une addiction qui concerne le comportement d’amassage des contenus et des informations sur le réseau.

"Je ne me sentais pas trop concernée, mais depuis que je suis étudiante, ça change..."

 Cette dernière forme de dépendance semble plus inoffensive que les trois premières, mais paradoxalement, c’est cette apparente innocuité qui lui permet de toucher un grand nombre d’internaute. En effet, on pense communément qu’internet a rendu possible l’accès aisé aux savoirs, à la connaissance. On peut donc avoir l’illusion qu’en collectant patiemment une partie des millions de données disponibles sur le web, on deviendra plus « savant ». Cela reste bien sûr une utopie comme l’explique Roberto Casati dans son livre « Contre le colonialisme numérique », « S’informer c’est utile, mais ce n’est pas connaître, car à l’inverse de cette dispersion, le savoir doit être structuré pour avoir une chance […] de nous rendre un peu plus intelligents ». Alain Finkielkraut dans L’identité malheureuse compare le livre et l’écran : « Le livre, […] est une chose ; sur l’écran, il n’y a pas de choses, mais des flux ». Ces deux auteurs, contre toute logique d’accumulation de données, font état de la nécessaire appropriation du savoir par l’individu qui doit le plus souvent être aidé par un médiateur pour apprendre réellement.

"Aie, aie, aie...." 
D’autres auteurs évoquent un cinquième type de dépendance, la cyberdépendance dépensière qui est la version propre aux nouvelles technologies de ce que nous connaissions auparavant comme le jeu ou l’achat pathologique, voire le boursicotage compulsif. En effet, si on se réfère au classement des recherches web effectuées en France, l’achat en ligne arrive en quatrième position et sa proportion n’a cessé d’augmenter ces dernières années. On peut donc en déduire qu’internet favorisera également l’achat compulsif ou pathologique.
Quels enjeux pour l'école  face à la cyberdépendance ?

Lors d’une séance solennelle à l’Académie française sur « Les nouveaux défis de l’éducation9 », Michel Serres a tenté de définir qui était l’écolier, l’étudiant d’aujourd’hui qu’il a dénommé « La petite Poucette ». Prendre en compte ce nouvel individu est essentiel pour l’enseignant afin de définir ce qu’il faut lui transmettre et comment lui transmettre. Pour cet auteur « la pédagogie change totalement avec les nouvelles technologies ». En effet, comment continuer d’enseigner un savoir quand la parole de l’enseignant n’a plus de valeur sacrée, quand l’élève peut vérifier par lui-même ses dires et le contredire. L’enjeu est d’envergure pour l’enseignant : comment arriver à motiver l’élève, à stimuler l’envie d’apprendre, à réexpliquer la façon d’apprendre alors que l’élève, quand il est en études supérieures, navigue sur internet en cours et reçoit des stimulations visuelles bien plus fortes ? Son rôle peut être alors d’aider l’élève à filtrer l’information, les traiter, les transformer en réel savoir afin que l’élève ne soit pas démotivé. C’est maintenant plus sur l’acquisition des repères méthodologiques face à la surabondance d’informations que l’enseignant doit travailler.


Mais il y a fort à faire, car pour les jeunes il y a comme une addiction à « la preuve ». « La preuve, je l’ai vu », « regarde ! ». Quand auparavant, le savoir se trouvait dans les livres, il fallait faire l’effort de lire puis de comprendre pour avoir appris. Maintenant, comme le souligne Alain Finkielkraut 10 « le livre n’est que textuel ; l’écran mélange le texte, les sons, les images ». Et ce sont surtout les images et les vidéos dont raffolent les éléves, parce qu’ils sont immédiatement compréhensibles, sans effort. Et ce sont de ces images et vidéos dont ils usent et abusent jusqu’à l’excès grâce aux smartphones perfectionnés souvent au sein même de l’école puisqu’ils y passent la majeure partie de leur temps. Et c’est sur la base de cette « preuve » que sont la photo ou la vidéo qu’ils vont se forger une opinion, pas un savoir en oubliant que les montages, les trucages sont nombreux. Croire que l’instantané est la règle, que le zoom sur un joli détail peut faire oublier l’ensemble d’une situation moins avantageuse.
Le rôle des éducateurs, que ce soit les enseignants, mais aussi les parents, c’est d’apprendre à tous les élèves à aiguiser leur sens critique dès leur plus jeune âge, à ne pas se laisser leurrer, berner par des miroirs aux alouettes qu’ils auraient « vu » sur internet. Il est indispensable de leur enseigner à trouver l’essence même d’un fait ou d’une personne, pas uniquement son reflet.


C’est aussi un enjeu pour l’ensemble de la communauté éducative de trouver le bon ton, la bonne ligne de conduite dans le règlement intérieur notamment face aux risques de conduite addictive des adolescents. L’interdiction du téléphone portable au sein des établissements scolaires qui était en vigueur encore il y a quelques années, est aujourd’hui impossible à tenir. Mais l’usage irraisonné du smartphone par les adolescents, nécessite de toujours se poser la question de ce qu’on peut éventuellement autoriser et de ce sur quoi il ne faut pas transiger.


La difficulté, même pour les spécialistes est de trouver la limite entre usage raisonnable, usage excessif mais sans symptôme de dépendance et cyberdépendance. Il semble qu’un bon moyen de se rendre compte de sa dépendance en dehors des tests mis en place sur le sujet soit d’essayer la déconnexion le temps d’une journée, d’un week-end ou des vacances. 

Des moments de retrouvailles familiales peuvent en être l’occasion par exemple. C’est aux parents d’insister, de couper au besoin la connexion internet pour que les enfants même s’ils sont grands et les adultes eux-mêmes réapprennent pour un temps à être présent consciemment et à profiter des échanges, des jeux simples, de la baignade avec ceux qui constituent le socle familial et amical réel. C’est finalement la mission des parents que de ramener régulièrement et systématiquement les enfants dans le monde réel et qui a le double effet d’agir aussi pour les parents, afin comme le préconise Françoise Dastur, de redonner la priorité à l’être sur le faire
11.

J’ai la chance d’avoir une vie familiale et amicale riche et surtout d’avoir les pieds bien ancrés dans la réalité, il y a donc peu de risques, malgré un temps de connexion internet très important que je devienne cyberdépendante. Toutefois les recherches faites dans le cadre de cette étude m’ont permis de m’interroger, de poser des questions autour de moi et de sensibiliser ma famille. Tout plutôt que rester seul connecté à son ordinateur, sa tablette ou son smartphone.

1 Cindy GOLLY – La Cyberdépendance vue par les neurosciences -http://www.calameo.com/books/0013594622f446476273d – consulté le 05/01/2014

2 Martine FOURNIER - La génération Y va-t-elle réinventer le monde – Sciences Humaines, Février 212

3 Jean-Charles NAYEBI - Cyberdépendance en 60 questions – RETZ- 2007

4 Nicolas DELESALLE - Tous Bouffés par Candy Crush – Télérama – 21/12/2013

5 Philippe PONS - La folie des PC bang en Corée du Sud – Le Monde – 16/07/2011

6 C. CUSTER - Chinese Gamer Demands Police Arrest Him for Playing Games Too Much

7 Alexandre des ISNARDS et Thomas ZUBER – Facebook m’a tuer, Nil editions , Paris, 2011

8 Tina KARR – Pornographie : Ravages et dépendances chez les Jeunes – Huffington Post, 3 et 04/10/2013 http://www.huffingtonpost.fr/tina-karr/risques-pornographie-adolescents_b_4044054.html consulté le 05/01/14

9 Michel SERRES – Petite Poucette – Séance solennelle « les nouveaux défis de l’éducation » Académie française 01/03/2011

10 Alain FINKIELKRAUT – L’identité malheureuse - Stock – P139


11 Françoise DASTUR – Une révolution du temps qui donne la priorité au faire sur l’être – Philosophie Magazine, Mars 2012 , P46

6 commentaires:

  1. j'ai hâte de lire la suite, d'autant plus si cette étude génère une auto-analyse

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  2. En fait, ce ne serait pas judicieux de commencer la cure de désintoxication "webique" dès maintenant, il vaut mieux attendre début janvier...
    Je crois c'est comme pour un régime... demain....

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  3. Je confirme !
    Et merci pour la voix de Whitney Houston...humour au second degré, sensibilité à cette superbe chanson- ou sens de l'à-propos dans l'illustration ?
    Un peu des trois je suppose !

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    1. Les chansons, c'est juste une manière de ne pas trop se prendre au sérieux !

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    2. Ta analyse de la cyberdépendance est super longue mais super instructive et très riche. Je l'ai trouvé très très passionnante et cela est vrai également que si l'on pouvait se déconner au moins une journée, on a déjà un peu gagné sur ce fléau. Mais pas évident pourtant !

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    3. Désolée pour la faute, je voulais dire "Ton analyse"...Maintenant, c'est affiché ! Grrr...Je voulais aussi ajouter que j'ai adoré la façon dont tu as cerné ce fléau.

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